Pages

10/10/2019

Toussus le Noble, un théâtre d’opérations diverses et variées - souvenirs du Cdt Jacques pageix


Le hangar FARMAN, implanté sur  une enclave privée de l'aéroport, 
avec accès aux pistes par un taxiway également privé. 
Il offrait de nombreuses place de stationnement aux avions, et disposait d'un atelier d'entretien. 
Éphèmère basilique, il accueillit  les reliques de Sainte-Thérèse..

À Toussus-le-Noble, au début de l'année 1995, je fus contacté par l'Évêché de Versailles pour organiser sur l'aérodrome le départ d'un périple aérien pour le moins étrange, voire surréaliste...

          L'idée qui me fut exposée par l'évêché était de transporter la châsse de Sainte Thérèse de Lisieux en avion, pour lui permettre d'aller ainsi à la rencontre des fidèles, de ville en ville! Il s'agissait en quelque sorte d'un pèlerinage à l'envers: les pèlerins, au lieu de se  déplacer à Lisieux pour y vénérer les reliques de Sainte Thérèse, pourrait ainsi la vénérer à deux pas de chez eux.

          L'évêque de Pamier (Mgr Albert-Marie-Joseph Cyrille de Monléon) était le promoteur de cette idée lumineuse et souhaitait la voir se réaliser rapidement.

          Je n'ai malheureusement pas conservé de photos de ce curieux épisode ; peut-être n'y en eut-il pas ? De plus, ce souvenir est un peu confus dans ma mémoire. Mais le fait est curieux et je pense donc qu'il mérite d'être rapporté.

          À cette occasion, mon ami le Père Jacques Minard, curé de la paroisse de Châteaufort-Toussus (*) ne manqua pas de me faire passer « sous la soutane » quelques caricatures bien senties, en y mêlant mon chien Helliot, qui n'avait pourtant aucunement trempé dans cette affaire. 
J'ai conservé ses petits croquis et je me décide pas à les présenter ici, car cela pourrait choquer certains et le faire sursauter lui-même dans sa tombe (même s'il y a prescription!).
         
          Le mois d'avril venu, pour recevoir dignement la châsse et son précieux contenu, on aménagea une basilique éphémère dans le hangar de la société Farman (enclave privée sur l'aérodrome, donc terrain neutre, alors exploitée par Monsieur Péchenard).

          Une messe fut dite par l'évêque. La châsse qui servait d'autel, quelques fumigènes, l'encens, les chasubles colorées, le caractère "décalé" de cette cérémonie au milieu des avions modernes alignés en bon ordre dans le hangar , tout cela composait un spectacle pour le moins surréaliste...

L'avouerai-je, je commis une petite facétie : je me souviens que l' évêque me demanda quel était ce curieux avion à réaction jaune qui tranchait avec les autres par son aspect militaire...

          C'était un Albatros, avion Tchèque, que le fameux Bidoux (ce Bidoux était connu à Toussus pour faire des affaires de tous bords, et l' on était nombreux à croire que son nom avait produit ce verbe à consonnance argotique: « bidouiller »). Il avait acheté cet avion (c'est le même type d'avion qui compose la patrouille de voltige Breitling) et, avant que l'on puisse connaître le destin que ce Bidoux comptait assigner à sa nouvelle "danseuse", comme il aimait à le souligner, les Douanes avaient saisi l'avion qui fut aussitôt transporté dans le hangar Farman dont le responsable, Monsieur Péchenard, avait été nommé « gardien de saisie conservatoire » (**).

          Je répondis à l'évêque : « c'est un avion de chasse Monseigneur : il est donc adapté au transport de reliques ! » Je me souviens bien que l'évêque, que j'avais jugé un peu prématurément inaccessible à toute sortes d'humour, n'avait pu réprimer un fou-rire !

Il conviendrait, pour compléter ces lignes, de retrouver des document permettant de retacer précisément quel fut le déroulement exact de ce curieux périple sur notre territoire, car je n'en ai malheureusement conservé aucun souvenir.

(*) : Jacques Minard  (Vanves, 12 octobre 1930 - Châteaufort, 17 mai 2006): Il fut pour moi avant tout un amis très cher. Personnage « haut en couleur », mais prêtre exemplaire dont les sermons, profonds, ciselés, souvent à l'emporte pièce, étaient de véritables moments d'éloquence qui réveillaient les consciences. Il n'aimait pas les pompes de l'Église, un peu provoquant et iconoclaste...Il avait une plume alerte qui jouait non seulement de l'écriture, mais aussi de la caricature (cela rime...). Ses dessins étaient aussi « pertinents » que ses discours. 

Je me revois, sirotant (modérément bien sûr) avec lui sous sa tonnelle du presbytère quelques breuvages anisés, tout en devisant : lorsqu'un avion survolait le village, il ne manquait pas de m'interpeller :
" Regarde, Jacques, encore un pilote qui prend mon clocher pour une balise!"...


 Ou bien, lors d'un concert d'orgue à la  cathédrale St-Louis de Versailles, où le récital de Fauré (je crois) nous endormait, il prit un crayon et dessina d'un trait un enterrement de première classe...On pouffa un peu trop bruyamment et certaines bigotes versaillaises se retournèrent en nous fusillant du regard. 
Heureusement que Jacques ne portait aucun signe distinctifs de son appartenance au clergé ! ...

Jacques, à la fois organiste et facteur d'orgue, et aussi curé aux sermons percutants mais émouvants, que j'aimais beaucoup, et qui, par son engagement, son sens de l'amitié, et son humour décapant, frisant parfois le canulard, était un phare pour "ses copains" (son expression favorite). Mes souvenirs à son propos mériteraient tout un ouvrage: je me souviens pêle-mêle du récit de son premier sermon à Taverny en présence de ses parents : lors de sa montée en chaire, son aube, malencontreusement accrochée à la rampe, se déchira et ses petit papiers aides-mémoire posés sur le rebord en velour rouge s'envolèrent. Son arrivée au sein de sa paroisse de Châteaufort-Toussus fut très remarquée: son bulletin paroissial "Carillon" (du nom de son chat) fit sensation, ainsi que quelques canulards avec ses complices Patrick Esnault le secrétaire de mairie et Jacques Marinovic, éclairagiste à la télévision ; il passa même à la télé dans une émission de Dechavanne pour présenter l'une de ses inventions.  

          Avec Jacques Minard, Jacques Marinovic et Patrice Pannetier, nous visitâmes Patrick Esnault à la clinique Aumont à Versailles lors d'une banale opération: quelle rigolade! Jacques et moi, nous nous étions déguisés en momie avec des rouleau de papier "Q" et nous fîmes irruption dans une chambre qui n'était pas la bonne! Il y avait-là un couple de bon petits vieux qui furent terrorisés par cette lugubre et soudaine apparition. Enfin rassemblés autour du bon lit, un apéro anisé fut servi et Patrick renversa son verre (plein) sur ses draps, ce qui ne fut pas apprécié on s'en doute par l'infirmière qui alla clamer partout qu'une chambre avait été envahie par une  bande de poivrots. Il y eut par la suite le séjour de Jacques à la clinique des Franciscaines qui déchaîna aussi les spécialistes de canulars et le mien au même endroit qui inspira quelques caricatures inavouables...

          Il "administrait" avec talent tout à la fois l'église de la paroisse de Châteaufort - Toussus-le-Noble, le presbytère, et le prieuré qu'il avait embelli d'une crypte enterrée dans un monceau de gravats et qu'il dégagea à la force de ses bras et qui devint le siège de nombreuses veillées.

   
(**) : Ce Bidou était un personnage de bande dessinée : aventurier notoire, connaissant donc des hauts et des bas ; il nous avoua qu'il avait une vieille mère richissime qui le renflouait lorsqu'il avait fait de mauvaises affaires, ce qui lui arrivait de temps à autre, car il avait un côté naïf, et cela le rendait assez sympathique..
Outre l'affaire de l'Albatros, ces deux épisodes le caractérisent :
          Il trempa un moment dans les avions renifleurs. L'un de ces avions, avec sa longue antenne implantée sur le nez, demeura longtemps sur le parking entre deux missions ; un jour, ma comptable d'Aéroport de Paris, madame Devémy, s'en émut et signifia à la société le montant des taxes dues, qui était pharamineux. Ce fut mon Bidoux qui vint s'en acquitter auprès de la comptable en ouvrant sous ses yeux étonnés un attaché-case bourré de dollars, et en payant « rubis sur l'ongle »...
          Un jour où il était particulièrement en verve, il nous raconta une équipée dans un pays d'Afrique en révolution où, au moment où il signait un important contrat avec un nabab local, l'aéroport où il avait garé son avion fut investi par les rebelles et il eut juste le temps de redécoller entre deux rafales de mitraillettes...

          À Toussus, "sévirent" aussi les frères Jacquemond. Le plus jeune était dans ma classe en terminale ; c'était un cancre qui s'était fait virer en cours d'année scolaire. C'est dire si je fus étonné de le retrouver un jour au bar de la volière , devenu commandant de bord au sein de la compagnie UTA ! Évidemment, il me reconnut et m'interpella bruyamment...Son frère aîné était un baroudeur. Il faisait du trafic et je crois bien qu'il était un peu protégé par nos services dits "spéciaux" qui lui confièrent parfois des missions occultes. Ainsi, c'est lui qui décolla nuitamment de Toussus pour aller chercher l'ethnologue Françoise Claustre, enlevée en 1974 par Hissen Abré et séquestrée au Tibesti, et qui la ramena en France...

         
Toussus fut assez souvent, il est vrai, le théâtre d'opérations secrètes, accomplies en marge des règles et des lois. En 1936, des avions furent fournis à l' Espagne pour équiper l'aviation républicaine et compléter ainsi les envois soviétiques (les fameux "Polykarpov"). La douane fermait les yeux... L'établissement Farman expédia des avions d'école, les "Alizé" F-480 qui avaient été spécialement conçus pour l'Espagne. Jean-Baptiste Salis père, alors installé sur l'aéroport, fournit quant à lui plusieurs avions, non sans s'être auparavant transporté sur place à bord d'un Dewoitine, pour y rencontrer les responsables républicains.

          En août 1937, plusieurs avions destinés à l'Espagne furent détruits dans un attentat à l'explosif perpétré par la Cagoule...

                                                                           
Jacques Pageix 2015


Dans la chronologie des articles de M. Jacques Pageix - Commandant de l’aéroport de Toussus: