À Toussus-le-Noble, au début de l'année 1995, je fus contacté par l'Évêché de Versailles pour organiser sur l'aérodrome le départ d'un périple aérien pour le moins étrange, voire surréaliste...
L'idée qui me fut exposée par l'évêché
était de transporter la châsse de Sainte Thérèse de Lisieux en avion, pour lui
permettre d'aller ainsi à la rencontre des fidèles, de ville en ville! Il
s'agissait en quelque sorte d'un pèlerinage à l'envers: les pèlerins, au lieu
de se déplacer à Lisieux pour y vénérer
les reliques de Sainte Thérèse, pourrait ainsi la vénérer à deux pas de chez
eux.
L'évêque de Pamier (Mgr
Albert-Marie-Joseph Cyrille de Monléon) était le promoteur de cette idée
lumineuse et souhaitait la voir se réaliser rapidement.
Je n'ai malheureusement pas conservé
de photos de ce curieux épisode ; peut-être n'y en eut-il pas ? De
plus, ce souvenir est un peu confus dans ma mémoire. Mais le fait est curieux
et je pense donc qu'il mérite d'être rapporté.
À cette occasion, mon ami le Père
Jacques Minard, curé de la paroisse de Châteaufort-Toussus (*) ne manqua
pas de me faire passer « sous la soutane » quelques caricatures bien
senties, en y mêlant mon chien Helliot, qui n'avait pourtant aucunement trempé
dans cette affaire.
J'ai conservé ses petits croquis et je me décide pas à les
présenter ici, car cela pourrait choquer certains et le faire sursauter
lui-même dans sa tombe (même s'il y a prescription!).
Le mois d'avril venu, pour recevoir
dignement la châsse et son précieux contenu, on aménagea une basilique éphémère
dans le hangar de la société Farman (enclave privée sur l'aérodrome, donc
terrain neutre, alors exploitée par Monsieur Péchenard).
Une messe fut dite par l'évêque. La
châsse qui servait d'autel, quelques fumigènes, l'encens, les chasubles
colorées, le caractère "décalé" de cette cérémonie au milieu des
avions modernes alignés en bon ordre dans le hangar , tout cela composait un
spectacle pour le moins surréaliste...
L'avouerai-je,
je commis une petite facétie : je me souviens que l' évêque me demanda
quel était ce curieux avion à réaction jaune qui tranchait avec les autres par
son aspect militaire...
C'était un Albatros, avion Tchèque,
que le fameux Bidoux (ce Bidoux était connu à Toussus pour faire des affaires
de tous bords, et l' on était nombreux à croire que son nom avait produit ce
verbe à consonnance argotique: « bidouiller »). Il avait acheté cet
avion (c'est le même type d'avion qui compose la patrouille de voltige
Breitling) et, avant que l'on puisse connaître le destin que ce Bidoux comptait
assigner à sa nouvelle "danseuse", comme il aimait à le souligner,
les Douanes avaient saisi l'avion qui fut aussitôt transporté dans le hangar
Farman dont le responsable, Monsieur Péchenard, avait été nommé « gardien
de saisie conservatoire » (**).
Je répondis à l'évêque :
« c'est un avion de chasse Monseigneur : il est donc adapté au
transport de reliques ! » Je me souviens bien que l'évêque, que j'avais
jugé un peu prématurément inaccessible à toute sortes d'humour, n'avait pu
réprimer un fou-rire !
Il
conviendrait, pour compléter ces lignes, de retrouver des document permettant
de retacer précisément quel fut le déroulement exact de ce curieux périple sur
notre territoire, car je n'en ai malheureusement conservé aucun souvenir.
(*) :
Jacques Minard (Vanves, 12 octobre 1930 - Châteaufort, 17 mai 2006): Il
fut pour moi avant tout un amis très cher. Personnage « haut en
couleur », mais prêtre exemplaire dont les sermons, profonds, ciselés,
souvent à l'emporte pièce, étaient de véritables moments d'éloquence qui
réveillaient les consciences. Il n'aimait pas les pompes de l'Église, un peu
provoquant et iconoclaste...Il avait une plume alerte qui jouait non seulement
de l'écriture, mais aussi de la caricature (cela rime...). Ses dessins étaient
aussi « pertinents » que ses discours.
Je me revois, sirotant (modérément bien sûr) avec lui sous sa tonnelle du presbytère quelques breuvages anisés, tout en devisant : lorsqu'un avion survolait le village, il ne manquait pas de m'interpeller :
" Regarde, Jacques, encore un pilote qui prend mon clocher pour une balise!"...
Je me revois, sirotant (modérément bien sûr) avec lui sous sa tonnelle du presbytère quelques breuvages anisés, tout en devisant : lorsqu'un avion survolait le village, il ne manquait pas de m'interpeller :
" Regarde, Jacques, encore un pilote qui prend mon clocher pour une balise!"...
Ou bien, lors d'un concert d'orgue à
la cathédrale St-Louis de Versailles, où
le récital de Fauré (je crois) nous endormait, il prit un crayon et dessina
d'un trait un enterrement de première classe...On pouffa un peu trop bruyamment
et certaines bigotes versaillaises se retournèrent en nous fusillant du regard.
Heureusement que Jacques ne portait aucun signe distinctifs de son appartenance au clergé ! ...
Heureusement que Jacques ne portait aucun signe distinctifs de son appartenance au clergé ! ...
Jacques,
à la fois organiste et facteur d'orgue, et aussi curé aux sermons percutants
mais émouvants, que j'aimais beaucoup, et qui, par son engagement, son sens de
l'amitié, et son humour décapant, frisant parfois le canulard, était un phare
pour "ses copains" (son expression favorite). Mes souvenirs à son
propos mériteraient tout un ouvrage: je me souviens pêle-mêle du récit de son
premier sermon à Taverny en présence de ses parents : lors de sa montée en
chaire, son aube, malencontreusement accrochée à la rampe, se déchira et ses
petit papiers aides-mémoire posés sur le rebord en velour rouge s'envolèrent.
Son arrivée au sein de sa paroisse de Châteaufort-Toussus fut très remarquée:
son bulletin paroissial "Carillon" (du nom de son chat) fit
sensation, ainsi que quelques canulards avec ses complices Patrick Esnault le
secrétaire de mairie et Jacques Marinovic, éclairagiste à la télévision ; il
passa même à la télé dans une émission de Dechavanne pour présenter l'une de
ses inventions.
Avec Jacques
Minard, Jacques Marinovic et Patrice Pannetier, nous visitâmes Patrick Esnault
à la clinique Aumont à Versailles lors d'une banale opération: quelle rigolade!
Jacques et moi, nous nous étions déguisés en momie avec des rouleau de papier
"Q" et nous fîmes irruption dans une chambre qui n'était pas la
bonne! Il y avait-là un couple de bon petits vieux qui furent terrorisés par cette
lugubre et soudaine apparition. Enfin rassemblés autour du bon lit, un apéro
anisé fut servi et Patrick renversa son verre (plein) sur ses draps, ce qui ne
fut pas apprécié on s'en doute par l'infirmière qui alla clamer partout qu'une
chambre avait été envahie par une bande
de poivrots. Il y eut par la suite le séjour de Jacques à la clinique des
Franciscaines qui déchaîna aussi les spécialistes de canulars et le mien au
même endroit qui inspira quelques caricatures inavouables...
Il
"administrait" avec talent tout à la fois l'église de la paroisse de
Châteaufort - Toussus-le-Noble, le presbytère, et le prieuré qu'il avait
embelli d'une crypte enterrée dans un monceau de gravats et qu'il dégagea à la
force de ses bras et qui devint le siège de nombreuses veillées.
(**) :
Ce Bidou était un personnage de bande dessinée : aventurier notoire,
connaissant donc des hauts et des bas ; il nous avoua qu'il avait une
vieille mère richissime qui le renflouait lorsqu'il avait fait de mauvaises
affaires, ce qui lui arrivait de temps à autre, car il avait un côté naïf, et
cela le rendait assez sympathique..
Outre
l'affaire de l'Albatros, ces deux épisodes le caractérisent :
Il trempa un moment dans les avions
renifleurs. L'un de ces avions, avec sa longue antenne implantée sur le nez,
demeura longtemps sur le parking entre deux missions ; un jour, ma
comptable d'Aéroport de Paris, madame Devémy, s'en émut et signifia à la
société le montant des taxes dues, qui était pharamineux. Ce fut mon Bidoux qui
vint s'en acquitter auprès de la comptable en ouvrant sous ses yeux étonnés un
attaché-case bourré de dollars, et en payant « rubis sur
l'ongle »...
Un jour où il était particulièrement
en verve, il nous raconta une équipée dans un pays d'Afrique en révolution où,
au moment où il signait un important contrat avec un nabab local, l'aéroport où
il avait garé son avion fut investi par les rebelles et il eut juste le temps
de redécoller entre deux rafales de mitraillettes...
À Toussus, "sévirent" aussi
les frères Jacquemond. Le plus jeune était dans ma classe en terminale ;
c'était un cancre qui s'était fait virer en cours d'année scolaire. C'est dire
si je fus étonné de le retrouver un jour au bar de la volière , devenu
commandant de bord au sein de la compagnie UTA ! Évidemment, il me
reconnut et m'interpella bruyamment...Son frère aîné était un baroudeur. Il
faisait du trafic et je crois bien qu'il était un peu protégé par nos services
dits "spéciaux" qui lui confièrent parfois des missions occultes.
Ainsi, c'est lui qui décolla nuitamment de Toussus pour aller chercher
l'ethnologue Françoise Claustre, enlevée en 1974 par Hissen Abré et séquestrée
au Tibesti, et qui la ramena en France...
Toussus fut assez souvent, il est vrai, le théâtre d'opérations secrètes, accomplies en marge des règles et des lois. En 1936, des avions furent fournis à l' Espagne pour équiper l'aviation républicaine et compléter ainsi les envois soviétiques (les fameux "Polykarpov"). La douane fermait les yeux... L'établissement Farman expédia des avions d'école, les "Alizé" F-480 qui avaient été spécialement conçus pour l'Espagne. Jean-Baptiste Salis père, alors installé sur l'aéroport, fournit quant à lui plusieurs avions, non sans s'être auparavant transporté sur place à bord d'un Dewoitine, pour y rencontrer les responsables républicains.
En août 1937, plusieurs avions
destinés à l'Espagne furent détruits dans un attentat à l'explosif perpétré par
la Cagoule...
Jacques Pageix 2015
Dans la chronologie des articles de M. Jacques Pageix - Commandant de l’aéroport de Toussus: