C'était un 27 août 1909, dans le Figaro de cette époque nous pouvions lire :
Bétheny-Aviation, 27 août.
Le Grand Prix de Champagne est fini : ce n'est pas Latham qui l'a gagné, c'est Henry Farman. Oui, Henry Farman ! Personne ne s'y attendait. Depuis le commencement de la semaine, ni lui ni ses élèves, Sommer et Cockburn, n'avaient réussi leurs essais. Ses appareils avaient peu brillé et peu plu. Leurs vols lourds s'étaient poursuivis près de terre. Ni les uns ni les autres n'avaient fait de tentative sérieuse. Les échecs successifs de Sommer et de Cockburn avaient enlevé toute la confiance qu'on avait mise en eux à la suite des exploits du camp de Châlons, et on les négligeait.
Ils se sont rappelés à notre attention par deux performances fantastiques, deux records du monde : celui de la distance et celui de la durée, dans un vol très bas, malheureusement, ce qui lui enleva toute beauté dans le mouvement. Henri Farman a, devant les foules ébahies, couvert 180 kilomètres, et volé durant 3 h. 4' 56" 2/5. Il a volé cette distance et ce temps, mais il aurait pu davantage; et c'est cette certitude qui nous écrase, nous déborde, nous affole; si habitué qu'on soit à l'énorme, quel que soit notre entraînement au prodigieux, nous succombons à tant d'émotions, Et pourtant, il faut dire et répéter que de tels exploits sont, pour l'humanité, les préludes magnifiques de conquêtes plus merveilleuses encore.
Ce qu'il y a de particulièrement plaisant dans la victoire de Farman, c'est que l'homme qui a enlevé le superbe trophée et qui a, à la dernière heure, soufflé à ses rivaux décontenancés les 50,000 francs du Grand Prix de Champagne, montait lui-même l'oiseau qu'il a construit. Pour être moins personnelle que l'œuvre de certains autres, qui ne doivent rien à personne, et ont créé les ailes et le moteur, l'aéroplane de Farman est une œuvre intéressante qui, si elle ne présente pas pour nous les qualités idéales que nous souhaitons trouver dans un oiseau mécanique, offre, pourtant, sa part d'utiles innovations à l'industrie aérienne. .
L'oiseau vainqueur est un biplan, à queue stabilisatrice, dont voici la description ; 10 mètres d'envergure entre les plans, larges de 2 mètres. Intervalle de 1 mètre 95 surface portante, au total, 52 mètres ; force du moteur, 50 chevaux. Détail important : si Far-man est Anglais, la France cependant partage l'honneur de sa victoire; c'est, en effet, le moteur Gnome, le même qui, l'autre jour, conduisit Paulhan à une victoire éphémère, qui a aujourd'hui accompli les records et étonne le monde. Admirable moteur! En vérité, il volait bien pour la première fois, il avait bien tourné à l'aise au banc d'essai; mais jamais on ne l'avait expérimenté sur l'aéroplane. Il y avait été placé le matin même. On sait maintenant comment il s'est comporté.
A 4 heures 25 de l'après-midi, Farman s'envolait, pour ne s'arrêter qu à 7 heures 40. S'arrêter, non à bout de souffle, mais parce que la nuit était venue, enveloppant toute chose, dissimulant à l'aviateur les pylônes, sur lesquels il redoutait d'aller se détruire. Parti plus tôt, Farman aurait fait davantage. Voilà la prodigieuse vérité. Seuls, la nuit et le délai inflexible des règlements (7 h. 30), limitèrent l'effort de son oiseau et celui du moteur. A son arrêt, Farman, qui s'était élancé avec 64 litres d'essence, avait encore à sa disposition 15 litres d'énergie, soit assez pour voler encore 40 à 50 kilomètres, et couvrir, dans un seul essai, un parcours monstre de deux cent trente kilomètres. On croit rêver, en vérité.
Le vol de Farman ne fut pas émouvant ; il le fit trop près de terre, et nous aimons les voir haut dans le ciel, les oiseaux mécaniques, pour qu'ils nous donnent l'orgueil d'avoir égalé ceux que la nature a mis dans les champs et les bois. D'une allure régulière, Farman glissait immuablement à trois ou quatre mètres du sol. Aux tours, il ajoutait les tours, continuant, alors que tant d'autrès qui s'étaient envolés avaient dû atterrir. Il nous fallut bien, enfin, nous apercevoir qu'il volait. Il les lassa tous à la course : Latham d'abord, Tissandier ensuite, Sommer aussi, Delagrange enfin. Il atteignit les 100 kilomètres, approcha, égala le record de Latham, le dépassa...Ce furent de belles heures. Quels moments on passe sur ce champ de Bétheny !
Depuis longtemps déjà la foule acclame l'aviateur. Il continue, continue toujours, continue infatigablement. Parti dans la splendide lumière d'un après-midi ensoleillé, Farman vole, maintenant, dans l'air morose du crépuscule. Il passe, repasse, difficile à suivre dans les ténèbres qui s'épaississent, seul, ou presque seul au-dessus de la vaste plaine, où tout à l'heure tant d'aéroplanes et deux dirigeables lui tenaient compagnie. Maintenant, c'est l'heure bleue. Farman vole encore. Il vole, poursuivi par des automobiles chargées de veiller, en une chasse cahotante à travers champs, à ce qu'il accomplisse bien le parcours fixé, et double régulièrement les pylônes.
Nous ne le voyons plus à l'horizon ; d'ailleurs: l'horizon est noir, tout à fait. Mais tout à coup il surgit dans le cône éblouissant d'un projecteur installé au haut des tribunes, vire, franchit la ligne, atteint l'heure fatidique : sept heures trente, et pour la gloire, tout simplement, car tout ce qu'il fera maintenant ne comptera plus, — il continue son vol merveilleux, s'enfonce dans la nuit. C'est alors, et vraiment, une étrange et grande minute d'angoisse que nous avons vécu, lorsque le grand oiseau mécanique, gigantesque oiseau de nuit, disparut dans le noir, emmenant avec lui dans l'inconnu pour nous celui qui l'avait construit et qu'il pouvait trahir, en le jetant au sol, là-bas, dans un champ, sur quelque méchant obstacle. Notre angoisse fut vaine. Pour la dix-neuvième fois, surgissant des ténèbres, Farman entra dans l'orbe lumineuse qui l'accompagne et qui le suit jusqu'au moment où, devant nous, il s'arrête.
Il est fatigué un peu, un peu étourdi, mais il sent monter en lui une joie immense, aux acclamations que lui hurlent les spectateurs enthousiastes, qu'il ne voit pas mais dont il entend sur la terre des champs les pas lourds et dans la nuit pure les voix claires. Des mains l'ont empoigné. Il est porté en triomphe. En courant, la foule remmène sur ses épaules vers les hangars, où d'autres acclamations l'attendent. , Enveloppé, bousculé, ému par tant d'ovations, il fléchit, suffoqué. On s'écarte un peu, il respire. M. Millerand, ministre du commerce, qui eut la grande joie d'assister au monumental exploit, s'avance et félicite vigoureusement celui qui vient de l'accomplir. Applaudi, acclamé, ayant sur ses pas les pas de ses admirateurs, Farman rejoint son hangar (...).
Ils se sont rappelés à notre attention par deux performances fantastiques, deux records du monde : celui de la distance et celui de la durée, dans un vol très bas, malheureusement, ce qui lui enleva toute beauté dans le mouvement. Henri Farman a, devant les foules ébahies, couvert 180 kilomètres, et volé durant 3 h. 4' 56" 2/5. Il a volé cette distance et ce temps, mais il aurait pu davantage; et c'est cette certitude qui nous écrase, nous déborde, nous affole; si habitué qu'on soit à l'énorme, quel que soit notre entraînement au prodigieux, nous succombons à tant d'émotions, Et pourtant, il faut dire et répéter que de tels exploits sont, pour l'humanité, les préludes magnifiques de conquêtes plus merveilleuses encore.
Ce qu'il y a de particulièrement plaisant dans la victoire de Farman, c'est que l'homme qui a enlevé le superbe trophée et qui a, à la dernière heure, soufflé à ses rivaux décontenancés les 50,000 francs du Grand Prix de Champagne, montait lui-même l'oiseau qu'il a construit. Pour être moins personnelle que l'œuvre de certains autres, qui ne doivent rien à personne, et ont créé les ailes et le moteur, l'aéroplane de Farman est une œuvre intéressante qui, si elle ne présente pas pour nous les qualités idéales que nous souhaitons trouver dans un oiseau mécanique, offre, pourtant, sa part d'utiles innovations à l'industrie aérienne. .
L'oiseau vainqueur est un biplan, à queue stabilisatrice, dont voici la description ; 10 mètres d'envergure entre les plans, larges de 2 mètres. Intervalle de 1 mètre 95 surface portante, au total, 52 mètres ; force du moteur, 50 chevaux. Détail important : si Far-man est Anglais, la France cependant partage l'honneur de sa victoire; c'est, en effet, le moteur Gnome, le même qui, l'autre jour, conduisit Paulhan à une victoire éphémère, qui a aujourd'hui accompli les records et étonne le monde. Admirable moteur! En vérité, il volait bien pour la première fois, il avait bien tourné à l'aise au banc d'essai; mais jamais on ne l'avait expérimenté sur l'aéroplane. Il y avait été placé le matin même. On sait maintenant comment il s'est comporté.
A 4 heures 25 de l'après-midi, Farman s'envolait, pour ne s'arrêter qu à 7 heures 40. S'arrêter, non à bout de souffle, mais parce que la nuit était venue, enveloppant toute chose, dissimulant à l'aviateur les pylônes, sur lesquels il redoutait d'aller se détruire. Parti plus tôt, Farman aurait fait davantage. Voilà la prodigieuse vérité. Seuls, la nuit et le délai inflexible des règlements (7 h. 30), limitèrent l'effort de son oiseau et celui du moteur. A son arrêt, Farman, qui s'était élancé avec 64 litres d'essence, avait encore à sa disposition 15 litres d'énergie, soit assez pour voler encore 40 à 50 kilomètres, et couvrir, dans un seul essai, un parcours monstre de deux cent trente kilomètres. On croit rêver, en vérité.
Le vol de Farman ne fut pas émouvant ; il le fit trop près de terre, et nous aimons les voir haut dans le ciel, les oiseaux mécaniques, pour qu'ils nous donnent l'orgueil d'avoir égalé ceux que la nature a mis dans les champs et les bois. D'une allure régulière, Farman glissait immuablement à trois ou quatre mètres du sol. Aux tours, il ajoutait les tours, continuant, alors que tant d'autrès qui s'étaient envolés avaient dû atterrir. Il nous fallut bien, enfin, nous apercevoir qu'il volait. Il les lassa tous à la course : Latham d'abord, Tissandier ensuite, Sommer aussi, Delagrange enfin. Il atteignit les 100 kilomètres, approcha, égala le record de Latham, le dépassa...Ce furent de belles heures. Quels moments on passe sur ce champ de Bétheny !
Depuis longtemps déjà la foule acclame l'aviateur. Il continue, continue toujours, continue infatigablement. Parti dans la splendide lumière d'un après-midi ensoleillé, Farman vole, maintenant, dans l'air morose du crépuscule. Il passe, repasse, difficile à suivre dans les ténèbres qui s'épaississent, seul, ou presque seul au-dessus de la vaste plaine, où tout à l'heure tant d'aéroplanes et deux dirigeables lui tenaient compagnie. Maintenant, c'est l'heure bleue. Farman vole encore. Il vole, poursuivi par des automobiles chargées de veiller, en une chasse cahotante à travers champs, à ce qu'il accomplisse bien le parcours fixé, et double régulièrement les pylônes.
Nous ne le voyons plus à l'horizon ; d'ailleurs: l'horizon est noir, tout à fait. Mais tout à coup il surgit dans le cône éblouissant d'un projecteur installé au haut des tribunes, vire, franchit la ligne, atteint l'heure fatidique : sept heures trente, et pour la gloire, tout simplement, car tout ce qu'il fera maintenant ne comptera plus, — il continue son vol merveilleux, s'enfonce dans la nuit. C'est alors, et vraiment, une étrange et grande minute d'angoisse que nous avons vécu, lorsque le grand oiseau mécanique, gigantesque oiseau de nuit, disparut dans le noir, emmenant avec lui dans l'inconnu pour nous celui qui l'avait construit et qu'il pouvait trahir, en le jetant au sol, là-bas, dans un champ, sur quelque méchant obstacle. Notre angoisse fut vaine. Pour la dix-neuvième fois, surgissant des ténèbres, Farman entra dans l'orbe lumineuse qui l'accompagne et qui le suit jusqu'au moment où, devant nous, il s'arrête.
Il est fatigué un peu, un peu étourdi, mais il sent monter en lui une joie immense, aux acclamations que lui hurlent les spectateurs enthousiastes, qu'il ne voit pas mais dont il entend sur la terre des champs les pas lourds et dans la nuit pure les voix claires. Des mains l'ont empoigné. Il est porté en triomphe. En courant, la foule remmène sur ses épaules vers les hangars, où d'autres acclamations l'attendent. , Enveloppé, bousculé, ému par tant d'ovations, il fléchit, suffoqué. On s'écarte un peu, il respire. M. Millerand, ministre du commerce, qui eut la grande joie d'assister au monumental exploit, s'avance et félicite vigoureusement celui qui vient de l'accomplir. Applaudi, acclamé, ayant sur ses pas les pas de ses admirateurs, Farman rejoint son hangar (...).
source : http://cpascans.canalblog.com