Le samedi 30 novembre 1996, après une nuit paisible, la
sonnerie du réveil ne me fit pas lever: j'optai sans remords pour une grasse
matinée...
En effet, la semaine avait été dure et je n'étais pas
astreinte pour le week-end...
Dans ma chambre, à l'arrière du pavillon de fonction (situé
faut-il le rappeler à 80 mètres de l'aérogare et de mon bureau dans le bloc
technique), je discernai bien une légère odeur de brûlé et des crépitements au
demeurant peu perceptibles, mais je ne m'en inquiétai pas, enfoui bien au chaud
au fond de ma couette.
Je fus tiré de mon demi-sommeil par la sonnerie stridente du
téléphone: c'était Yvette Thomasset, qui était de service au bureau de piste.
Elle avait du mal à parler: "Monsieur Pageix, me dit-elle d'une voix
entrecoupée de sanglots, venez vite, l'aérogare brûle. C'est le véhicule
incendie qui est entré à l'intérieur!".
Je m'habillai en hâte. Ma femme qui avait ouvert la porte
d'entrée la referma aussitôt et me lança: "On ne voit pas à deux mètres;
tu ne vas quand même pas partir comme cela!" Elle m'appliqua une serviette
mouillée sur le visage et je pris en courant avec cette protection bien
sommaire un cap approximatif vers le bloc technique, que j'atteignis après
m'être copieusement cogné dans les obstacles: je peux dire que ma course à
travers le parking se fit véritablement en condition IMC !... Heureusement, le
vent renvoyait les fumées (toxiques, je pense...) en direction de mon pavillon,
épargnant ainsi le bâtiment technique qui restait dégagé...J'en profitai pour
remplir enfin mes poumons avec de l'air plus sain...
Au bureau de piste, au premier étage, Mme Thomasset me
voyant tousser abondamment, m'engagea avec sa gentillesse habituelle à voir un
médecin! Évidemment, j'avais d'autres choses à faire et elle n'insista pas.
Elle m'expliqua que le pompier qui se trouvait dans son local de repos en zone
sud l'avait appelée pour lui dire qu'il était malade et qu'il allait venir.
Elle lui conseilla de rester où il était pour attendre un médecin qu'elle lui
proposait d'appeler.
Le pompier, ne l'écouta pas, monta dans son camion, démarra,
et traversa le parking principal des avions en direction du bloc technique.
Pris d'un malaise au cours de ce déplacement, il perdit le contrôle du véhicule
VLIS qui, livré à lui-même, pénétra dans l'aérogare par le parvis extérieur,
non sans avoir gravi les trois marches donnant dans le hall d'accueil.
Quelques aspects de l'incendie; les 3 premières photos ont
été prises face au parking véhicules et donnent à peine la mesure de l'opacité
qui régna au début. La 4e est prise devant le bloc technique.
À l'intérieur, une femme de ménage, seule à cette heure,
balayait tranquillement lorsqu'elle vit surgir ce camion qui s'engouffra à
l'intérieur de l'aérogare dans un fracas épouvantable; elle s'enfuit par
l'autre porte extérieure. Le camion se coucha sur le flanc et la batterie
s'enflamma, provoquant l'incendie qui se propagea très rapidement. Entre-temps,
le pompier, extrêmement choqué, réussit néanmoins à se dégager de l'épave et à
évacuer l'aérogare.
Ici, un bref retour en arrière s'impose pour la
compréhension du récit:
À Toussus, les pompiers furent supprimés en 1981 en
application (trop stricte à l'évidence) de l' instruction de 1979 de la
Direction de la Navigation Aérienne (DNA) au grand désespoir de son commandant,
qui était alors mon regretté ami Michel Pineau, IPEEAC, que je remplaçai le 6
septembre 1982.
En 1982, la situation du Service incendie (SSIS) telle que
je la découvris était assez complexe:
La
protection réglementaire, telle que publiée dans les documents dont disposaient
les équipages, était assurée par un extincteur sur roue de 50kg de poudre!...(À
la disposition des usagers, dispersés sur les zones sud, est et ouest).
Toutefois, s'agissant d'un aéroport à fort trafic (même
nombre de mouvements annuels qu' Orly à l'époque!), une disposition
particulière ajoutait à cette trop modeste dotation réglementaire une Land
Rover, avec une sphère de 250 kg placée sur son dos (*), le véhicule étant
peint en jaune et non en rouge, pour mieux afficher son utilisation habituelle
comme véhicule de piste et non comme véhicule incendie! Il fut néanmoins
exprimé que tous agents volontaires pourraient l'utiliser pour aller au feu.
En
fait, pendant plusieurs années, le commandant d'aérodrome Jacques Pageix et son
adjoint Patrice Bralet furent les deux seuls agents à se transformer
quelquefois en pompiers...en complet veston et cravate!! Je dois à la vérité de
reconnaître ma chef Circulation Aérienne, Corinne D., fit aussi quelques
interventions, y compris en escarpins (elle demanda leur remboursement sans
succès!...)
(*): ceci élevait le centre de gravité du véhicule qui,
n'étant pas conçu pour cela, avait la fâcheuse tendance à se coucher sur son
flanc; A venir : Le récit des lapins où la land rover se couche sur la piste (?) et Voir
par ailleurs les récits des interventions SSIS.
Pour
compléter ce dispositif, ADP signa une convention avec les services départementaux
des Yvelines selon un protocole qui nous conduisait à les prévenir lors d'un
crash prévisible ou constaté. Évidemment, ceux-ci venaient de Versailles et,
malgré leur grande bonne volonté, ne pouvaient se présenter à l'un des points
de rendez-vous assignés sur l'aérodrome avant un quart d'heure au minimum. De
plus, nonobstant des séances d'entraînement aux feux d'aéronefs, leurs
interventions n'étaient pas adaptées (ils se mettaient en place et, immobilisés
par leurs équipements, ne pouvaient accompagner l'avion dans sa course).
Notre dernière intervention fut je crois sur un Beechcraft
Bonanza de l'aéro-club d'Air France, de retour vers le terrain avec le feu à
bord, posé en urgence près du village de Toussus. Le pilote, un jeune médecin,
ne put s'extraire de l'appareil en flamme et j'arrivai trop tard, avec Pascal
Herbaud (alors chef du bureau de piste). Les premiers arrivés sur place,
l'agriculteur et son commis, n'avaient pu porter secours au pilote blessé et
immobilisé à l'intérieur (à noter que la seule porte d'accès sur cet avion est
du côté du copilote, à droite...).
Est-ce ce drame qui provoqua peu après la mise en place de
pompiers à Toussus en 1995? Ou bien quelques dossiers insistants, arguant du
fait que Toussus disposait maintenant de liaisons régulières? En effet, la
COGEMA, qui avait un contrat avec la compagnie CHALAIR (créée en 1986),
accentua ses vols à partir de 1995 jusqu'à 5 fois par jour pour transporter ses
cadres (en Swearingen Métro de 12 places) à destination de Cherbourg, vers
l'usine de retraitement des déchets nucléaire de La Hague (Les responsables, Mr
Lebaron et à son décès en 1996 Mme Pajean avaient leurs bureaux dans
l'aérogare). Ajoutons à cela les liaisons quotidiennes assurées par la
compagnie Air Normandie, (mises en place avec un consultant dont j'ai oublié le
nom): elle acheminait vers l'usine de Valladolid les agents du techno centre
que Renault venait d'installer à Guyancourt.
Au surplus, cette situation qui faisait intervenir des
personnels non agréés (nous) fut jugée pour le moins inadaptée, puisqu'elle
nous plaçait face à un dilemme, notre destin balançant dangereusement entre,
d'un côté, le risque de commettre des fautes involontaires mais aggravantes
pouvant se retourner contre nous, et, de l'autre côté, la non assistance à
personnes en danger. Certes, nous n'avions pas éprouvé ce souci jusque-là, mais
le contexte juridique avait quant à lui notablement évolué et nous plaçait plus
que jamais dans une situation pour le moins inconfortable...
Bref, le 1er avril 1995, Toussus vit s'installer un pompier
permanent et un véhicule correctement dimensionné (VLIS), qui furent logés en
zone sud.
Notons au passage qu'on ne put l'installer dans le bâtiment
SSIS existant, construit dans les années 70 (et utilisés 3 ou 4 ans
seulement...), car le nouveau véhicule ne passait pas sous la trop faible
hauteur du garage (*). Tant pis! Nous étions bien contents, mon adjoint et moi,
d'avoir enfin un "vrai" Service Incendie!
(*): Ce bâtiment SSIS servit de "salle des fêtes"
soit pour des pots de départ ou d'arrivée, ou des anniversaires, et le
personnel l'utilisa fréquemment. La municipalité et l'école primaire de Toussus
y furent parfois accueillies pour quelques goûters.
Mais revenons à notre
récit:
Ne pouvant plus compter sur le service incendie, j'appelais
comme par le passé les services départementaux des Yvelines.
Les pompiers se présentèrent et n'eurent aucune peine à se
diriger vers le sinistre, que désignait de loin l'épaisse colonne de fumée
noire.
Mais ils me déclarèrent aussitôt qu'il ne savaient pas
trouver les bouches incendie! En leur désignant ces points d'eau, je
découvris (avec stupeur) que le plan
d'intervention dont ils disposaient n'était pas du tout à jour! Que l'on en
juge: l'aérogare n'y figurait même pas!
L'explication ne tarda pas: il s'agissait-là d'une unité
venant de Saint-Quentin en Yvelines et
non de Versailles comme par le passé, et qui n'était donc jamais intervenue à
Toussus. De plus, il faut bien le dire, toutes nos relations avait cessé avec
les services de Versailles depuis l'installation des pompiers à Toussus.
Les équipes mirent donc leurs lances en batterie, mais on ne
put éteindre l'incendie qu'au cours de l'après midi.
Naturellement cela créa des désordres notables dans le
fonctionnement des installations électriques; le balisage lumineux ne
fonctionnant plus, les départs IFR le soir ne purent avoir lieu. Je me souviens
qu'avec nos propres véhicules, nous
transportâmes quelques hommes d'affaires à Orly, où ils embarquèrent pour
des destinations européennes afin
d'honnorer leurs rendez-vous du lendemain.
Je quittai Toussus pour le poste de chef de cabinet à la
DAC-Nord le 13 janvier suivant. Les restes de l'aérogare furent détruits
aussitôt après l'incendie et, plus tard, l'accueil des passagers se fit dans un
bâtiment préfabriqué situé près de l'aire à signaux.
Sur la photo du bas, on aperçois le camion incendie
à l'intérieur de l'aérogare, dans une position couchée.
(J'ignore qui a pris toutes ces photos qui m'ont été remises
peu de temps après).
À mon arrivée à la DAC-Nord à Athis-Mons, le lundi 13
janvier 1997, Jean Maigret mon nouveau directeur, qui connaissait les
circonstances (assez houleuses) de mon départ de Toussus et qui ne manquait pas
d'humour, m'accueillit en me disant (il ne me tutoyait pas encore):
"Avouez, Jacques, c'est vous qui avez mis le feu!"...